🎨 Quand le cerveau peint différemment : l’art après un AVC
🖌️ La peinture, c’est bien plus qu’un geste. C’est un dialogue entre la main, l’œil et le cerveau.
Mais que se passe-t-il lorsque ce cerveau, ce chef d’orchestre invisible, est blessé ?
C’est la question fascinante qu’explore une étude de Anna Mazzucchi, Elena Sinforiani et François Boller (Progress in Brain Research, 2013), consacrée à la façon dont les lésions cérébrales focales, comme les AVC, transforment la création artistique.
🧠Quand le cerveau se dérègle, le pinceau change de direction
Les chercheurs ont étudié six peintres professionnels ayant tous subi un accident vasculaire cérébral (AVC) — trois avec une lésion à l’hémisphère gauche, trois à l’hémisphère droit.
Tous ont continué à peindre après leur accident, et tous ont vu leur style changer de manière profonde.
Ces transformations varient selon la partie du cerveau touchée :
🎯 Lésions de l’hémisphère gauche :
simplification des formes, perte de perspective, usage de couleurs plus plates ou primaires, compositions plus rigides et séquentielles.
Les artistes développent parfois un style dit “naïf”, comme une stratégie d’adaptation à la perte de précision.🌌 Lésions de l’hémisphère droit :
désorganisation spatiale, négligence du côté gauche de la toile, perte de profondeur et déséquilibre des volumes.
Les couleurs deviennent plus vives, parfois chaotiques, traduisant une émotion brute mais un contrôle spatial affaibli.
🎨 Lovis Corinth avant et après son AVC
🖼️ À gauche – Selbstbildnis mit Modell (1903)
Un style académique et maîtrisé : formes précises, profondeur réaliste, couleurs riches et équilibrées. Corinth y montre toute sa virtuosité technique et son sens du détail.
🖼️ À droite – Carmencita (1924)
Après un AVC du côté droit du cerveau : le geste devient plus tremblé, la composition déséquilibrée, la couleur moins nuancée. Le côté gauche du tableau paraît négligé — signe de son héminégligence visuelle.
🎨 Segundo Agelvis avant et après son AVC
🖼️ À gauche – Retrato de Hombre (1976)
Avant l’AVC : portrait structuré, équilibré, avec une bonne maîtrise des volumes, des ombres et de la profondeur. Les couleurs sont chaudes, harmonieuses et le visage clairement défini.
🖼️ À droite – Retrato de Hombre (1988)
Peint après un AVC de l’hémisphère droit : le visage devient déformé, les contours flous, la partie gauche du tableau est négligée — signe d’un trouble visuospatial. Les couleurs sont plus vives, parfois désorganisées, et la composition perd sa cohérence.
👉 Le résultat : une œuvre plus impulsive, déséquilibrée, où la désorientation du peintre devient visible sur la toile
💡 Ce que la science voit à travers l’art
Les analyses de Mazzucchi et de ses collègues révèlent une chose essentielle :
les deux hémisphères du cerveau participent à la création artistique, mais de manières différentes.
L’hémisphère gauche orchestre les aspects logiques, séquentiels et analytiques de la composition.
L’hémisphère droit gère la perception globale, l’espace, la couleur et l’émotion visuelle.
Quand l’un est blessé, l’autre tente de compenser — parfois en inventant un nouveau langage visuel.
Ces artistes montrent que la créativité peut survivre à la blessure, se transformer, et même trouver une nouvelle forme d’expression.
En bref, l’esprit se brise, la main tremble, mais l’art, lui parle encore.
Merci de nous avoir lu et à bientôt pour un nouvel article 🙂
Source : Anna Mazzucchi, Elena Sinforiani, François Boller, Chapter 4 - Focal cerebral lesions and painting abilities, Editor(s): Stanley Finger, Dahlia W. Zaidel, François Boller, Julien Bogousslavsky - Progress in Brain Research,